MS-Apple : l'incompréhensible discorde
Apple et Microsoft ne manquent jamais une occasion de s'échanger des amabilités. Depuis des années, les meilleurs ennemis du monde affichent publiquement l'hostilité cordiale qu'ils se vouent l'un à l'autre, la dernière pique en date venant (à nouveau) de Steve Ballmer (voir notre article Steve Ballmer boit du petit lait). Si Apple se contente d'aiguillonner Microsoft par campagne publicitaire interposée, jouant la mouche du coche, du côté de Redmond en revanche, ce sont les cadres dirigeants qui vont au front. Peut-être faut-il y voir un signe de l'efficacité de la première sur la nervosité des seconds.
Historiquement parlant, Apple a toute raison d'en vouloir à Microsoft, mais les choses ont toutefois bien changé depuis l'origine de la discorde, et à bien y regarder, on peut se demander pourquoi ces deux sociétés, dont le rang exige pourtant un comportement respectable, persistent à s'entendre comme chien et chat, frisant parfois l'immaturité. Avec 33 ans pour Apple et 34 pour Microsoft, il ne s'agit pourtant plus de perdreaux de l'année. La question semble d'autant plus pertinente qu'à bien y regarder, depuis le passage aux processeurs Intel, Apple et Microsoft auraient pourtant toutes les raisons de s'entendre.
Les origines de la querelle
Microsoft n'a pourtant pas toujours été en mauvais termes avec Apple. En 1984, alors qu'il dévoile le Macintosh, Steve Jobs n'a qu'une seule obsession : faire rendre gorge à IBM, son ennemi juré d'alors. Le géant de l'informatique, culturellement aux antipodes des francs-tireurs de Cupertino, a en effet emboîté le pas à Apple en créant le PC en 1981.
L'initiative est vécue comme une déclaration de guerre par Apple, qui a démocratisé la micro-informatique en 1977 avec l'Apple II. Alors jeune et impétueux, dans la mouvance hippie, Steve Jobs voit en IBM l'archétype des anciens tenants du pouvoir, avec ses complets-vestons de rigueur et son livret d'hymnes à l'entreprise patriarcale.
extrait du documentaire "Triumph of the nerds" de Robert Cringely
Microsoft a alors des partenariats avec les deux constructeurs, avec lesquels elle entretient donc de bonnes relations : elle fournit à Big Blue MS-DOS, le système d'exploitation du PC, et à Apple des logiciels pour le Mac (c'est notamment sur Macintosh qu'est né Excel).
Bill Gates, en fin stratège, va utiliser la compétition entre IBM et Apple pour détourner leur attention et les trahir tous les deux en faisant d'une pierre deux coups. En effet, alors qu'elle travaille avec IBM sur son prochain système, OS/2, Microsoft travaille dans l'ombre à l'élaboration de Windows, en reprenant l'interface graphique du Mac, et dame le pion aux deux frères ennemis.
La trahison est d'autant plus perfide qu'Apple avait dévoilé son interface graphique révolutionnaire à Microsoft en avant-première pour que la firme de Redmond fournisse des logiciels à cette nouvelle machine. Ainsi, Microsoft dépossède IBM de la plate-forme des "compatibles PC", et ravit le marché de la micro-informatique à Apple, qui ne s'en remettra jamais vraiment.
IBM et Apple ne pardonneront jamais une telle trahison à Microsoft, et les anciens belligérants finiront même par s'unir pour contrer leur nouvel ennemi commun, avec l'élaboration de la famille de processeurs PowerPC qui animera le Macintosh de 1994 à 2006. Comme quoi Apple est capable d'enterrer la hache de guerre lorsque cela va dans le sens de ses intérêts.
Microsoft gagne la guerre
Dès lors, Apple et Microsoft n'auront de cesse de s'envoyer régulièrement des piques acerbes. Microsoft poursuit son irrésistible ascension, faisant de Windows un standard incontournable, et Apple dépérit peu à peu, jusqu'à se trouver au bord de la faillite. À tel point qu'Apple et Microsoft annoncent un accord, tel un coup de semonce, en juillet 1997 : Microsoft investit 150 millions de dollars dans la firme à la pomme, et s'engage sur le maintien de la version pour Mac de sa suite Office, en échange d'actions, de partage de technologies, et de la fin des poursuites judiciaires qu'Apple avait intentée à son encontre.
Le geste est bien plus symbolique que salvateur, puisque l'investissement ne dépasse alors pas 5% du capital d'Apple, mais suffit à redonner confiance aux actionnaires et permet à Apple de rebondir, et Microsoft sauve la mise au seul dernier concurrent dont elle puisse encore se prévaloir. La firme de Redmond est en effet taraudée de plus en plus par des menaces de démantèlement pour cause d'abus de position dominante.
À l'occasion de cette annonce, Steve Jobs enterre officiellement la hache de guerre sous les huées sidérées des Mac-users : "Il nous faut revoir certaines notions. Nous devons cesser de croire qu'il faut que Microsoft perde pour qu'Apple gagne. En ce qui me concerne, la compétition entre Apple et Microsoft est terminée."
Dès lors, les relations entre Microsoft et Apple seront plus cordiales et assainies, du moins pendant la durée de l'accord, nouvelle preuve qu'Apple peut mettre de l'eau dans son vin.
Reprise des hostilités
Pourtant, alors qu'Apple regagne de sa superbe, les anciennes habitudes reviennent peu à peu. Apple verse dans l'humour potache, en incitant Microsoft à lancer les photocopieurs à l'annonce de Tiger en 2005, puis avec la campagne publicitaire opposant deux acteurs qui incarnent le Mac et le PC. On notera d'ailleurs que dans ces spots, le PC s'enfonce tout seul, au "grand dam" du Mac qui tente de lui éviter l'humiliation publique, histoire de ne pas s'attirer l'antipathie du spectateur.
Microsoft répond avec autant de mordant par la bouche de Steve Ballmer, son nouveau patron, et finit par afficher un certain agacement vis-à-vis des spots d'Apple, allant même jusqu'à y répondre directement : "je suis un PC, et j'en suis fier". La bagarre reprend ses droits, sur deux thèmes bien connus : "Nos produits sont bien meilleurs" pour l'un, et "Ils n'iront pas bien loin avec ça" pour l'autre.
Autre coup de théâtre, Apple finit par utiliser les processeurs d'Intel, qu'elle raillait sans ménagement dans d'anciennes publicités. Là encore, Apple montre qu'elle est capable de pragmatisme quand ses intérêts sont en jeu. Mais la vaine querelle avec Microsoft a pourtant perdu sa raison d'être avec le passage du Macintosh aux processeurs Intel, et surtout la sortie de Boot Camp qui permet de démarrer un Mac sur Windows comme n'importe quel PC. N'oublions pas qu'Apple et Microsoft n'ont jamais réellement été en concurrence directe : malgré la spécificité de Mac OS X, Apple est un constructeur de machines au même titre qu'un Dell ou un HP, alors que Microsoft est avant tout un éditeur de logiciels.
Microsoft pouvait ainsi considérer qu'avec Boot Camp, le Mac devenait un nouveau marché à conquérir, dans la mesure où il lui devenait enfin possible de vendre Windows aux Mac users : peu importe sur quelle machine tourne son OS, du moment que la vente est faite. Elle n'a même plus de raisons de prendre ombrage du succès grandissant du Mac, puisque celui-ci n'implique plus de facto la perte de clients potentiels. À l'inverse, Apple pourrait être indifférente à l'utilisation qui est faite de ses Macs, une fois qu'elle a pu les vendre. Après tout, le principal, pour toute entreprise, c'est d'effectuer la vente, ce qui se passe après ne la concerne guère. Microsoft aurait même pu envisager d'obtenir un accord avec Apple pour qu'elle distribue certaines machines avec Windows préinstallé, ce qui aurait permis aux deux entreprises de gagner une nouvelle clientèle.
Malgré tout, Microsoft et Apple collaborent bon gré mal gré. Il ne faut pas oublier que la Mac Business Unit, le département de Microsoft consacré au Mac, est le plus rentable de toute l'entreprise. D'autre part, Apple lui a payé à prix d'or la licence Exchange qu'elle exploite. Mais Apple tire également ses bénéfices de Windows, puisque la majorité des utilisateurs d'iPod et d'iPhone sont sur PC.
Ainsi, les vieux ennemis auraient-ils pu s'entendre sur des intérêts communs, et on en vient à se demander, outre les anciennes blessures, ce qui peut bien les pousser à poursuivre ainsi leur mésentente avec autant de délectation. D'autant qu'en matière d'affaires, il n'y a pas de place pour les sentiments, de quelque nature qu'ils soient, et que des entreprises de cette taille savent faire preuve de pragmatisme et oublier le passé quand leur avenir peut en bénéficier. Pourquoi donc poursuivent-elles ces chamailleries dignes de querelles de chiffonniers ? Et pour poser la question franchement : n'aurions-nous pas été victimes d'une supercherie?
Une mésentente sincère
Tout d'abord, Apple a de tout temps affronté un adversaire, que se soit IBM comme Microsoft. Elle a la rébellion chevillée au corps, mais pour faire figure de trublion face aux institutions, encore faut-il avoir un ennemi affiché. Microsoft est donc parfaite pour endosser le rôle de sa Nemesis, elle qui l'a déjà été si longtemps. De même, Microsoft a-t-elle besoin d'un adversaire, aussi insignifiant soit-il, pour justifier d'une absence de monopole. La guerre est donc profitable aux deux parties, car l'une comme l'autre aurait plus à perdre qu'à gagner en cessant les hostilités. Et puis, quand on se chamaille depuis si longtemps, il est difficile d'oublier ses vieilles habitudes, quitte à les poursuivre alors qu'elles n'ont plus beaucoup de sens.
La guerre peut malgré tout connaître des trêves, comme on a pu le voir lors de l'interview de Steve Jobs et Bill Gates à la conférence D5 en mai 2007. Les deux hommes devisaient avec bonhommie sur leur parcours commun, mais c'est quand Steve Jobs (qui a dévoilé l'iPhone quelques mois plus tôt) évoque l'ère "post-pc", qu'on réalise les nouveaux enjeux.
Si Microsoft a gagné la bataille des ordinateurs personnels, elle est loin d'avoir gagné la guerre : les belligérants se trouvent face à une page vierge concernant de nouveaux marchés. Plus de marché captif, chacun joue à armes égales. Et Apple est plutôt en meilleure posture que Microsoft dans le domaine des smartphones, ce qui change bien la donne. Les appareils commencent à empiéter sur le domaine réservé des ordinateurs, et remplissent les petits besoins en informatique de tous les jours. Et c'est d'autant plus dangereux pour Microsoft que les utilisateurs peuvent se rendre compte qu'il y a une vie au-delà de Windows.
En effet, le géant du logiciel a de tout temps eu une stratégie tous azimuts pour éviter de se retrouver pieds et poings liés par une autre société. Pour peu qu'un autre se trouve dans la position où elle s'est elle-même trouvée naguère avec IBM, elle serait en position de faiblesse. C'est la raison pour laquelle Microsoft a tout fait pour arrêter la progression de QuickTime ou de Netscape, ou qu'elle s'est lancée sur de nouveaux marchés comme les consoles de jeu vidéos avec la X-Box ou les lecteurs MP3 avec le Zune.
Hélas pour elle, elle n'a pas réussi à empêcher le succès d'iTunes ni celui de l'iPhone. Il s'agit pour Microsoft comme pour Apple d'enjeux stratégiques majeurs qui détermineront qui dominera demain sur ces nouveaux marchés. Et une telle mainmise serait un levier puissant sur d'autres domaines de conquête. L'hostilité conserve donc toute sa raison d'être, et les deux frères ennemis peuvent reprendre leur lutte comme au bon vieux temps. Pourtant, on retrouve les mêmes lignes d'achoppement avec Google, qui, si elle partage une hostilité réciproque avec Microsoft, s'entend pourtant à merveille avec Apple : non seulement elles partagent de fructueuses collaborations, mais mieux encore, Eric Smidt, le président de Google, siège au conseil d'administration de la pomme. Comme quoi, la concurrence peut se faire dans un esprit de saine compétition, Apple et Microsoft sont-elles peut-être tout bonnement vouées à ne pas s'entendre.
Pour le meilleur et pour le pire, Apple et Microsoft adorent se détester, et ça n'est pas près de s'arrêter.
Historiquement parlant, Apple a toute raison d'en vouloir à Microsoft, mais les choses ont toutefois bien changé depuis l'origine de la discorde, et à bien y regarder, on peut se demander pourquoi ces deux sociétés, dont le rang exige pourtant un comportement respectable, persistent à s'entendre comme chien et chat, frisant parfois l'immaturité. Avec 33 ans pour Apple et 34 pour Microsoft, il ne s'agit pourtant plus de perdreaux de l'année. La question semble d'autant plus pertinente qu'à bien y regarder, depuis le passage aux processeurs Intel, Apple et Microsoft auraient pourtant toutes les raisons de s'entendre.
Les origines de la querelle
Microsoft n'a pourtant pas toujours été en mauvais termes avec Apple. En 1984, alors qu'il dévoile le Macintosh, Steve Jobs n'a qu'une seule obsession : faire rendre gorge à IBM, son ennemi juré d'alors. Le géant de l'informatique, culturellement aux antipodes des francs-tireurs de Cupertino, a en effet emboîté le pas à Apple en créant le PC en 1981.
L'initiative est vécue comme une déclaration de guerre par Apple, qui a démocratisé la micro-informatique en 1977 avec l'Apple II. Alors jeune et impétueux, dans la mouvance hippie, Steve Jobs voit en IBM l'archétype des anciens tenants du pouvoir, avec ses complets-vestons de rigueur et son livret d'hymnes à l'entreprise patriarcale.
extrait du documentaire "Triumph of the nerds" de Robert Cringely
Microsoft a alors des partenariats avec les deux constructeurs, avec lesquels elle entretient donc de bonnes relations : elle fournit à Big Blue MS-DOS, le système d'exploitation du PC, et à Apple des logiciels pour le Mac (c'est notamment sur Macintosh qu'est né Excel).
Bill Gates, en fin stratège, va utiliser la compétition entre IBM et Apple pour détourner leur attention et les trahir tous les deux en faisant d'une pierre deux coups. En effet, alors qu'elle travaille avec IBM sur son prochain système, OS/2, Microsoft travaille dans l'ombre à l'élaboration de Windows, en reprenant l'interface graphique du Mac, et dame le pion aux deux frères ennemis.
La trahison est d'autant plus perfide qu'Apple avait dévoilé son interface graphique révolutionnaire à Microsoft en avant-première pour que la firme de Redmond fournisse des logiciels à cette nouvelle machine. Ainsi, Microsoft dépossède IBM de la plate-forme des "compatibles PC", et ravit le marché de la micro-informatique à Apple, qui ne s'en remettra jamais vraiment.
IBM et Apple ne pardonneront jamais une telle trahison à Microsoft, et les anciens belligérants finiront même par s'unir pour contrer leur nouvel ennemi commun, avec l'élaboration de la famille de processeurs PowerPC qui animera le Macintosh de 1994 à 2006. Comme quoi Apple est capable d'enterrer la hache de guerre lorsque cela va dans le sens de ses intérêts.
Microsoft gagne la guerre
Dès lors, Apple et Microsoft n'auront de cesse de s'envoyer régulièrement des piques acerbes. Microsoft poursuit son irrésistible ascension, faisant de Windows un standard incontournable, et Apple dépérit peu à peu, jusqu'à se trouver au bord de la faillite. À tel point qu'Apple et Microsoft annoncent un accord, tel un coup de semonce, en juillet 1997 : Microsoft investit 150 millions de dollars dans la firme à la pomme, et s'engage sur le maintien de la version pour Mac de sa suite Office, en échange d'actions, de partage de technologies, et de la fin des poursuites judiciaires qu'Apple avait intentée à son encontre.
Le geste est bien plus symbolique que salvateur, puisque l'investissement ne dépasse alors pas 5% du capital d'Apple, mais suffit à redonner confiance aux actionnaires et permet à Apple de rebondir, et Microsoft sauve la mise au seul dernier concurrent dont elle puisse encore se prévaloir. La firme de Redmond est en effet taraudée de plus en plus par des menaces de démantèlement pour cause d'abus de position dominante.
À l'occasion de cette annonce, Steve Jobs enterre officiellement la hache de guerre sous les huées sidérées des Mac-users : "Il nous faut revoir certaines notions. Nous devons cesser de croire qu'il faut que Microsoft perde pour qu'Apple gagne. En ce qui me concerne, la compétition entre Apple et Microsoft est terminée."
Dès lors, les relations entre Microsoft et Apple seront plus cordiales et assainies, du moins pendant la durée de l'accord, nouvelle preuve qu'Apple peut mettre de l'eau dans son vin.
Reprise des hostilités
Pourtant, alors qu'Apple regagne de sa superbe, les anciennes habitudes reviennent peu à peu. Apple verse dans l'humour potache, en incitant Microsoft à lancer les photocopieurs à l'annonce de Tiger en 2005, puis avec la campagne publicitaire opposant deux acteurs qui incarnent le Mac et le PC. On notera d'ailleurs que dans ces spots, le PC s'enfonce tout seul, au "grand dam" du Mac qui tente de lui éviter l'humiliation publique, histoire de ne pas s'attirer l'antipathie du spectateur.
Microsoft répond avec autant de mordant par la bouche de Steve Ballmer, son nouveau patron, et finit par afficher un certain agacement vis-à-vis des spots d'Apple, allant même jusqu'à y répondre directement : "je suis un PC, et j'en suis fier". La bagarre reprend ses droits, sur deux thèmes bien connus : "Nos produits sont bien meilleurs" pour l'un, et "Ils n'iront pas bien loin avec ça" pour l'autre.
Autre coup de théâtre, Apple finit par utiliser les processeurs d'Intel, qu'elle raillait sans ménagement dans d'anciennes publicités. Là encore, Apple montre qu'elle est capable de pragmatisme quand ses intérêts sont en jeu. Mais la vaine querelle avec Microsoft a pourtant perdu sa raison d'être avec le passage du Macintosh aux processeurs Intel, et surtout la sortie de Boot Camp qui permet de démarrer un Mac sur Windows comme n'importe quel PC. N'oublions pas qu'Apple et Microsoft n'ont jamais réellement été en concurrence directe : malgré la spécificité de Mac OS X, Apple est un constructeur de machines au même titre qu'un Dell ou un HP, alors que Microsoft est avant tout un éditeur de logiciels.
Microsoft pouvait ainsi considérer qu'avec Boot Camp, le Mac devenait un nouveau marché à conquérir, dans la mesure où il lui devenait enfin possible de vendre Windows aux Mac users : peu importe sur quelle machine tourne son OS, du moment que la vente est faite. Elle n'a même plus de raisons de prendre ombrage du succès grandissant du Mac, puisque celui-ci n'implique plus de facto la perte de clients potentiels. À l'inverse, Apple pourrait être indifférente à l'utilisation qui est faite de ses Macs, une fois qu'elle a pu les vendre. Après tout, le principal, pour toute entreprise, c'est d'effectuer la vente, ce qui se passe après ne la concerne guère. Microsoft aurait même pu envisager d'obtenir un accord avec Apple pour qu'elle distribue certaines machines avec Windows préinstallé, ce qui aurait permis aux deux entreprises de gagner une nouvelle clientèle.
Malgré tout, Microsoft et Apple collaborent bon gré mal gré. Il ne faut pas oublier que la Mac Business Unit, le département de Microsoft consacré au Mac, est le plus rentable de toute l'entreprise. D'autre part, Apple lui a payé à prix d'or la licence Exchange qu'elle exploite. Mais Apple tire également ses bénéfices de Windows, puisque la majorité des utilisateurs d'iPod et d'iPhone sont sur PC.
Ainsi, les vieux ennemis auraient-ils pu s'entendre sur des intérêts communs, et on en vient à se demander, outre les anciennes blessures, ce qui peut bien les pousser à poursuivre ainsi leur mésentente avec autant de délectation. D'autant qu'en matière d'affaires, il n'y a pas de place pour les sentiments, de quelque nature qu'ils soient, et que des entreprises de cette taille savent faire preuve de pragmatisme et oublier le passé quand leur avenir peut en bénéficier. Pourquoi donc poursuivent-elles ces chamailleries dignes de querelles de chiffonniers ? Et pour poser la question franchement : n'aurions-nous pas été victimes d'une supercherie?
Une mésentente sincère
Tout d'abord, Apple a de tout temps affronté un adversaire, que se soit IBM comme Microsoft. Elle a la rébellion chevillée au corps, mais pour faire figure de trublion face aux institutions, encore faut-il avoir un ennemi affiché. Microsoft est donc parfaite pour endosser le rôle de sa Nemesis, elle qui l'a déjà été si longtemps. De même, Microsoft a-t-elle besoin d'un adversaire, aussi insignifiant soit-il, pour justifier d'une absence de monopole. La guerre est donc profitable aux deux parties, car l'une comme l'autre aurait plus à perdre qu'à gagner en cessant les hostilités. Et puis, quand on se chamaille depuis si longtemps, il est difficile d'oublier ses vieilles habitudes, quitte à les poursuivre alors qu'elles n'ont plus beaucoup de sens.
La guerre peut malgré tout connaître des trêves, comme on a pu le voir lors de l'interview de Steve Jobs et Bill Gates à la conférence D5 en mai 2007. Les deux hommes devisaient avec bonhommie sur leur parcours commun, mais c'est quand Steve Jobs (qui a dévoilé l'iPhone quelques mois plus tôt) évoque l'ère "post-pc", qu'on réalise les nouveaux enjeux.
Si Microsoft a gagné la bataille des ordinateurs personnels, elle est loin d'avoir gagné la guerre : les belligérants se trouvent face à une page vierge concernant de nouveaux marchés. Plus de marché captif, chacun joue à armes égales. Et Apple est plutôt en meilleure posture que Microsoft dans le domaine des smartphones, ce qui change bien la donne. Les appareils commencent à empiéter sur le domaine réservé des ordinateurs, et remplissent les petits besoins en informatique de tous les jours. Et c'est d'autant plus dangereux pour Microsoft que les utilisateurs peuvent se rendre compte qu'il y a une vie au-delà de Windows.
En effet, le géant du logiciel a de tout temps eu une stratégie tous azimuts pour éviter de se retrouver pieds et poings liés par une autre société. Pour peu qu'un autre se trouve dans la position où elle s'est elle-même trouvée naguère avec IBM, elle serait en position de faiblesse. C'est la raison pour laquelle Microsoft a tout fait pour arrêter la progression de QuickTime ou de Netscape, ou qu'elle s'est lancée sur de nouveaux marchés comme les consoles de jeu vidéos avec la X-Box ou les lecteurs MP3 avec le Zune.
Hélas pour elle, elle n'a pas réussi à empêcher le succès d'iTunes ni celui de l'iPhone. Il s'agit pour Microsoft comme pour Apple d'enjeux stratégiques majeurs qui détermineront qui dominera demain sur ces nouveaux marchés. Et une telle mainmise serait un levier puissant sur d'autres domaines de conquête. L'hostilité conserve donc toute sa raison d'être, et les deux frères ennemis peuvent reprendre leur lutte comme au bon vieux temps. Pourtant, on retrouve les mêmes lignes d'achoppement avec Google, qui, si elle partage une hostilité réciproque avec Microsoft, s'entend pourtant à merveille avec Apple : non seulement elles partagent de fructueuses collaborations, mais mieux encore, Eric Smidt, le président de Google, siège au conseil d'administration de la pomme. Comme quoi, la concurrence peut se faire dans un esprit de saine compétition, Apple et Microsoft sont-elles peut-être tout bonnement vouées à ne pas s'entendre.
Pour le meilleur et pour le pire, Apple et Microsoft adorent se détester, et ça n'est pas près de s'arrêter.
Pages