Dessous de table pour les chiffres de ventes d'iPad
Le procès d'analystes financiers impliqués dans un trafic d'informations confidentielles sur Apple suit son cours avec des détails sur le mode opératoire des protagonistes. Pour resituer le contexte, en novembre dernier, le gendarme de la bourse américaine avait lancé une enquête à l'encontre de différents analystes et investisseurs qui auraient pu bénéficier d'informations confidentielles, en faire profiter leurs clients et influencer ainsi le cours de certaines actions, dont celle d'Apple, mais aussi AMD ou Dell (lire Des analystes mis en examen et Les analystes suspectés de délit d'initié). Parmi eux on comptait plusieurs salariés du cabinet Primary Global Research, dont James Fleishman mis en examen et accusé d'avoir facilité ces échanges.
Businessweek fait aujourd'hui le compte rendu d'une audience à ce procès avec le témoignage d'un ex-cadre de Samsung, Suk-Joo Hwang qui travaillait dans la filiale américaine (il a passé 14 ans au sein de la division Electronics du groupe Coréen).
L'homme, qui a obtenu une immunité en échange de sa coopération avec la justice, raconte un dîner à Mountain View en Californie avec James Fleishman et un autre investisseur (connu seulement sous son diminutif de 'Greg'). Durant ces agapes, le cadre de Samsung a révélé quelques détails à propos de l'iPad. On était en décembre 2009, la machine à rumeur sur une possible tablette d'Apple tournait à plein régime, mais les inconnues étaient nombreuses, jusqu'à la réalité du futur produit.
Quatre mois avant que Steve Jobs ne dévoile l'iPad, Suk-Joo Hwang révéla à ses deux interlocuteurs que Samsung comptait parmi les fournisseurs de son écran LCD, avec Seiko et LG Display « Il y a une chose en particulier dont je me souviens encore très bien c'est que je leur ai parlé de chiffres de livraisons pour Apple et que c'était à propos de l'iPad. On était en décembre 2009, avant qu'ils ne lancent ce tablet PC, ils [les analystes, ndr] n'en connaissaient pas le nom à l'époque, et j'ai donc discuté avec eux des estimations de livraisons de cette tablette ».
À la question du juge sur la manière dont ont réagi Fleishman et la seconde personne, Hwang a répondu « Ils n'étaient au courant de rien » et ce 'Greg' s'est montré « très excité » devant ces confidences. Le cadre de Samsung a toutefois invité ses interlocuteurs à la discrétion en gardant l'information pour eux, ce à quoi Fleishman a opiné de la tête.
Cependant, aussitôt qu'il avait lâché ces chiffres et cette recommandation, Hwang raconte avoir observé qu'un homme assis à une table voisine le dévisageait. Il dit avoir craint qu'il ne s'agisse d'un employé d'Apple et d'avoir parlé trop fort. Il a alors retourné son badge Samsung pour cacher son identité et celle de son employeur.
Au fil des semaines cet informateur a nourri une inquiétude croissante devant le risque d'être découvert. Car peu de temps après ce déjeuner, des collègues l'ont informé que Samsung avait perdu ce contrat pour l'écran « J'ai pensé, ‘Ce type était d'Apple et ils l'ont appris', j'étais effrayé ».
Hwang a néanmoins bénéficié d'une promotion en février 2010, mais il a informé ses contacts chez Primary Global Research qu'il souhaitait mettre un terme à leur arrangement. En réponse il lui fut proposé de travailler de manière complètement anonyme et ses primes en tant que "consultant" seraient relevées de 200$ de l'heure à 350$ (253€). Cette collaboration continuera jusqu'en août 2010. En octobre de la même année, le FBI sonna à sa porte pour l'interroger sur ses liens avec ce cabinet d'investissement et en juin 2011 Samsung le licencia.
Lors de son témoignage, Suk-Joo Hwang a reconnu avoir collaboré pendant six ans avec Primary Global Research, avec à la clef un gain de 38 000$ (27 000€). Ce procès n'est pas terminé, Hwang doit encore témoigner. James Fleishman pour sa part a plaidé non coupable, il risque jusqu'à 25 ans de prison affirme Businessweek.
Cette affaire de vente d'informations confidentielles d'Apple n'est pas unique. Trois personnes en Chine ont été condamnées en juin dernier pour avoir sorti et fait commerce des plans du futur iPad 2. Un fabricant d'accessoires avait voulu prendre ses concurrents de vitesse et préparer des étuis. Un ancien employé de Foxconn et une personne du département R&D lui avaient facilité la tâche (lire Prison ferme pour le vol de schémas de l'iPad 2).