Fuites sur les « plombiers » d'Apple

Arnaud de la Grandière |
Ils sont inflexibles et intransigeants. Ils traqueront le moindre élément leur permettant de confondre les coupables, fouillant jusque dans les plus intimes détails de leurs vies privées. Emails, téléphones, rien n'est au-delà de leur portée. « Ils », ce sont les membres de la « Worldwide Loyalty Team », ou encore les forces spéciales, comme ils sont appelés chez Apple. Cette équipe voue son travail à repérer les mauvais éléments qui laissent « fuiter » des informations stratégiques dans la presse.


Une équipe de choc

Lorsqu'un département d'Apple est soupçonné d'être à l'origine d'une fuite, l'équipe entre en contact avec son plus haut cadre dirigeant, qui organise pour eux l'inspection réglementaire. L'opération de plomberie vise à colmater la fuite à sa source. Après avoir signé un contrat de confidentialité (en sus de celui qu'ils ont déjà tous signé en incorporant les rangs d'Apple), les employés sont tenus de mettre à disposition leur téléphone, qui sont tous confisqués pour inspection. Si les employés ont besoin de communiquer avec l'extérieur durant celle-ci, ils doivent en demander l'autorisation et leurs appels sont enregistrés. Peu importe que les iPhone n'appartiennent pas à la société, sachant qu'ils ont été généreusement offerts aux employés, puisque toute rébellion entraine un licenciement sec. Peu importe également le degré d'intimité des messages archivés qui sont tous passés au crible. Durant « l'opération », les ordinateurs doivent avoir l'économiseur d'écran activé pour éviter toute conversation par le biais de celui-ci, et les employés sont tenus au silence : interdiction de parler, d'envoyer des messages écrits, ou de s'appeler au téléphone entre eux.

Si un suspect est identifié, il est pris à part et nul ne sait ce qui se passe après. On suppose qu'il subit un interrogatoire minutieux, et qu'on s'assure de sa collaboration avec force de menaces de procès. On lui donne pour consigne de rester jusqu'à la fin de la journée, suite à quoi il est escorté par la sécurité hors des murs de l'entreprise, sous l'œil réprobateur des forces spéciales. Pour débusquer les taupes, qu'elles se terrent au sein du campus ou dans l'un des Apple Stores, la Worldwide Loyalty Team utilise tous les moyens disponibles, notamment en diffusant de fausses informations ciblées afin d'isoler les services trop bavards.

C'est du moins le scénario avancé par Jesus Diaz sur Gizmodo, suite à des révélations d'un ancien employé d'Apple, sobrement appelé « Tom ». Difficile de savoir quel crédit lui accorder, mais connaissant le culte du secret qu'entretient Apple, l'histoire n'est pas si éloignée de ce que l'on sait de ses pratiques. On tient par exemple pour acquis le fait qu'Apple distille savamment de fausses pistes au sein de ses équipes. La violation de la vie privée peut faire grincer des dents, particulièrement sur des appareils privés, mais la pratique est plus ou moins courante dans le monde de l'entreprise (sachez que votre employeur peut être amené à surveiller vos emails ou votre historique de navigation sur votre poste de travail). Et s'il en est une qui est susceptible de ne pas rechigner à sacrifier l'intimité de ses employés pour protéger la sienne, c'est bien Apple.

Où le culte du secret suscite tous les fantasmes

Cependant ça n'est pas la première fois qu'on évoque des pratiques quelque peu extrêmes au sujet d'Apple, qui se sont pourtant vues quelque peu remises en question : le New York Times avait indiqué que les bureaux les plus sensibles se devaient d'allumer une lumière rouge pour signaler qu'un objet ultra-secret n'était plus recouvert par le voile noir réglementaire (voir notre article Apple et le culte du secret), une information contestée par un de nos lecteurs, ancien ingénieur d'Apple (voir notre article A propos des lumières rouges des labos d'Apple).

Quoi qu'il en soit, l'amour immodéré d'Apple pour la confidentialité a quelque peu fait office de choc des cultures à l'occasion de l'ouverture des premiers Apple Stores en France, lors desquelles les journalistes de la presse généraliste s'étonnaient de ne pas pouvoir connaître le nom complet du directeur du magasin ni la surface totale de celui-ci. Si l'on s'avisait de poser à un employé des questions trop indiscrètes, on était systématiquement renvoyés vers un responsable des relations presse, y compris concernant l'état d'esprit des salariés ! (voir notre article Montpellier : un Apple Store régional). Il faut être faire preuve de quelque abnégation pour avoir l'insigne honneur de travailler pour Apple.

Deux poids, deux mesures ?

Mais la façon dont Apple traite en interne toute information comme s'il s'agissait d'une donnée ultra-sensible semble quelque peu hors de proportions sachant que les partenaires d'Apple font preuve de bien plus de légèreté. La firme de Cupertino, en multipliant les appareils qu'elle produit, a également vu le nombre de ses partenaires augmenter de manière significative : fournisseurs de mémoire, de processeurs, de batteries, d'écrans, mais aussi assembleurs, opérateurs de services, etc. Autant de sources potentielles de fuites, parfois au plus haut niveau. Le président de France Telecom s'était par exemple montré fort disert au sujet de l'iPhone avant son arrivée sur notre territoire. Il fut un temps où de tels propos auraient été vivement sanctionnés, comme ce fut le cas pour ATI : en 2000, le fabricant de cartes graphiques brûle la politesse à Apple en révélant que les prochains Mac seraient équipés de puces Radeon, alors que ceux-ci n'ont pas même été annoncés par Apple. Le résultat ne s'est pas fait attendre : en représailles, Apple a boycotté ATI , furieuse d'une telle légèreté. La société de Steve Jobs ne pourrait plus se permettre ce luxe aujourd'hui, à l'heure où elle signe des contrats pluriannuels et où elle n'a parfois pas la possibilité de faire appel à un concurrent. Sans parler des publications obligatoires telles que celles effectuées par la FCC et qui contraignent l'agenda des révélations d'Apple. On se souvient de triste mémoire qu'un employé de Foxconn avait mis fin à ses jours après avoir perdu un prototype d'iPhone (voir notre article Foxconn : un iPhone disparu et un suicide). Si Apple n'est pas nécessairement à l'origine des pressions exercées sur les salariés de ses fournisseurs, en tous cas l'épisode ne l'aura sans doute pas encouragée à faire preuve d'une trop grande intransigeance depuis.

On peut d'ailleurs remettre en perspective la conduite interne d'Apple avec le laisser-aller certain de Google concernant son Nexus One. Non seulement les informations ont filtré largement, mais plus surprenant encore, Google signale sur son blog officiel que ses propres employés testent actuellement un nouveau téléphone. Une information relayée également par la porte-parole de Google France (voir notre article Le Nexus One en vente le 5 janvier ? ). On voit qu'il y a manifestement un fossé culturel entre Apple et Google, au moins sur ce plan-là.
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avatar melaure | 
Quand on lit certains articles sur comment la Chine essaye de tout noyoter avec des étudiants, des stagiaires, des visites dans les entreprises, il y a de quoi avoir envie de se protéger. C'est vraiment l'espionnage à l'échelle plus qu'industrielle ... Mais d'un autre coté les employé sont déjà tellement pressé comme des citron (et encore chez Apple c'est pire que ça), qu'il doit y avoir pas mal de déprime, voir de suicides ...
avatar Bigdidou | 
L'article sous estime largement la vérité. Les employés indélicats d'Apple ne sont pas "escortés" vers une sortie définitive le soir venu. Personne ne les revoit jamais. C'est d'ailleurs pour cela que la firme n'emploie aux postes sensibles que des célibataires sans enfant qu'elle loge dans ses propres maisons (construites en plastique d'Apple II recyclés, pour la petite histoire). Sur le site du FBI, on peut d'ailleurs lire que cette société est étroitement surveillée, et qu'il est probable que les employés indélicats soient démembrés, bouillis puis que le jus récupéré serve à fabriquer la résine de cartes flash. Apple se serait inspiré des Chinois, qui, ne l'oublions pas, fabriquent toujours la colle des enveloppes avec leurs cadavres. Ceci dit, aucun agent du FBI ou la CIA n'est ressorti vivant des locaux d'Apple pour confirmer ou infirmer ces graves soupçons.
avatar vonjos | 
Bigdidou T Fou toi ! PS: pour la colle c'est vrai
avatar -HTK- | 
[quote]sachez que votre employeur peut être amené à surveiller vos emails ou votre historique de navigation sur votre poste de travail[/quote] VRAI ! ... Cependant, en France, vous pouvez vous éviter ceci si vous prenez soins de mentionner "personnel" en entête de vos mails. L’arrêt de référence a été rendu par la Cour de cassation le 2 octobre 2001 (N° 99-42942). La Cour rappelle le principe : « Le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l'intimité de sa vie privée. Celle-ci implique en particulier le secret des correspondances ». Et l’applique au courrier électronique : « L'employeur ne peut prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l'employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur. L'arrêt du 30 mai 2007 (N° 05-43102). Les juges doivent « rechercher si les fichiers ouverts sur le matériel mis à sa disposition par l’employeur avaient été identifiés comme personnels par le salarié ». L’apparence du fichier, le nom d’un dossier, l’objet d’un mail, seront autant d’indices qui devront conduire l’employeur a mettre de côté sa curiosité. Voilà. Alors mesdames, messieurs, réjouissez-vous en France de pouvoir insulter votre patron par mail sans être inquiété par un licenciement. :)
avatar r e m y | 
Mince! je pensais qu'on avait enfin une solution aux problèmes de fuites du watercooling des PowerMacs G5!
avatar Bodhi | 
Smith agent is watching you...
avatar Vivid (non vérifié) | 
la pendaison, la pendaison, la pendaison.... de plus en plus malade Apple.
avatar r e m y | 
mais il semblerait que l'employé Apple à qui avait été divulguée cette FAUSSE information a été licensié manu militari... ;-)

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