Interview : A. Clauss, le chauffeur d'iCab

Florian Innocente |
Depuis presque dix ans, iCab roule sur les autoroutes de l'information. Ce navigateur Web, écrit en quasi solo par un Allemand, Alexander Clauss (aidé par Oliver Joppich pour le moteur JavaScript), a eu son heure de gloire à l'époque de Mac OS 9 (ci-contre).

Compact et peu gourmand en RAM (c'était important alors) il est aussi arrivé à une période où toute alternative à l'Internet Explorer de Microsoft était chaleureusement accueillie. Firefox n'était pas né et personne n'aurait misé un centime sur un navigateur Web signé Apple.

Il y a quelques jours, ce développeur aujourd'hui agé de 39 ans a redémarré iCab avec une nouvelle carrosserie et une motorisation empruntée à Safari (notre dépêche). Explications…


Cela fait des années que vous développez un navigateur Web, qu'est-ce qui vous plaît dans ce type d'application ?

AC : Il n'y a rien spécialement que j'aime dans les navigateurs Web. C'est juste que la plupart d'entre eux ne font pas exactement ce dont j'ai besoin ou ce que j'estime qu'ils devraient faire. Du coup j'ai commencé à programmer mon propre navigateur. Au fil du temps de nouveaux besoins sont apparus, de nouvelles technologies aussi. Il est alors devenu nécessaire que je mette à jour mon logiciel. Et puis évidemment, lorsque vous travaillez pendant plusieurs années sur un même projet ce n'est pas si facile de s'arrêter.

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Le paysage des navigateurs Web a beaucoup changé depuis l'époque où iCab est arrivé. Explorer Mac a disparu, mais on a Safari, Firefox, OmniWeb, Opera, Camino, etc. Quelles ont été les motivations pour faire cette version 4 d'iCab ?

Il me manque toujours des fonctions dans ces navigateurs et ils ne me laissent pas faire certains réglages comme je l'entends. Pour donner un exemple, je trouve anormal qu'ils ne proposent pas de bloquer l'information de type "HTTP Referrer". Elle est envoyée au site que je consulte et elle contient l'adresse de la page qui m'y a amené. Cela peut, parfois, poser des problèmes de sécurité. Il y a beaucoup de créateurs de sites qui n'ont pas toutes les connaissances nécessaires et qui vont laisser dans les adresses de leurs pages des informations sensibles. Des infos qui seront récupérées automatiquement par les sites vers lesquels ils nous envoient. Avec iCab ce transfert est désactivé par défaut. De plus il y a quelques réglages autour des cookies et de JavaScript pour lesquels j'aime bien avoir la main.


Qu'est-ce qui distingue encore iCab de ses concurrents ?

AC : C'est une affaire de goût, mais par exemple je n'aime pas la façon dont Safari gère les signets. Tout se passe dans la fenêtre du navigateur lui-même. Déplacer un signet d'un dossier à l'autre peut être malaisé à l'intérieur d'une même fenêtre lorsque l'arborescence des dossiers est importante. Dans iCab, chaque dossier peut s'ouvrir dans sa propre fenêtre, comme on le ferait avec le Finder. Ca rend l'organisation des signets plus pratique et plus confortable.

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Le Web a changé et le développement de logiciels sur Mac a lui aussi beaucoup évolué : nouveau système, changements dans les outils de développement, création de WebKit, montée en puissance de Cocoa face à Carbon… comment avez-vous vécu tout cela ?

AC : C'est vrai que le développement de logiciels a énormément changé depuis les années Mac OS 9 mais les principes de base, eux, restent les mêmes. Au début j'ai dû me familiariser avec Cocoa. L'abandon de Carbon était devenu necéssaire car beaucoup de ses caractéristiques n'évoluent plus. Il y a des choses avec les applets Java dans les applications Carbon qui ne fonctionnent maintenant que sur les Mac PowerPC.


Le passage de Carbon vers Cocoa n'a pas été trop délicat ?

AC : Je devais apprendre un nouveau langage, l'Objective-C, mais ça s'est bien passé. En fait je trouve même que la programmation est devenue beaucoup plus amusante qu'elle ne l'était avec les anciens outils (Codewarrior, PowerPlant) et le C++. Cocoa permet de faire facilement des choses qui seraient compliquées avec d'autres langages. Pour autant il a parfois des limitations étranges et on se retrouve à se rabattre sur des interfaces de programmation Carbon. Il est ainsi impossible de créer des fichiers de type "webloc" avec Cocoa. Ce sont pourtant des fichiers qui contiennent juste l'adresse d'une page Web (ndt : lorsqu'on glisse un URL depuis Safari vers le bureau par exemple). Il faut utiliser Carbon pour les générer et ce même si votre application est en Cocoa.


WebKit n'existait pas dans Mac OS 9 et je suppose que vous deviez écrire vous-même tout le moteur de rendu des pages Web d'iCab. Qu'est-ce que WebKit a changé pour vous ?

AC : Jusqu'à la troisième version d'iCab j'ai effectivement utilisé mon moteur HTML. Avec la 4ème je suis passé sur WebKit. Développer mon propre moteur HTML devenait plus compliqué ces dernières années parce que de nombreuses technologies sont apparues sur le Web (en soi ce n'est pas un gros problème) mais beaucoup de webmasters ne savent pas toujours très bien les mettre en oeuvre (et ça en revanche c'est un gros problème). Plein de pages sont remplies d'erreurs ou contreviennent aux standards du Web. Leurs auteurs les testent avec Internet Explorer, Firefox et maintenant Safari pour corriger les bugs (ou essayer autant que possible de les dissimuler). Mais aucun ne le faisait avec iCab. Et les erreurs que, lui, aurait révélées seraient restées en l'état. Résultat, j'ai fini par passer plus de temps à faire en sorte qu'iCab contourne ces erreurs plutôt qu'à développer le logiciel lui-même.


D'où l'avantage à passer sur WebKit ?

AC : Vu que de plus en plus de concepteurs de pages Web prennent en compte Safari, utiliser le même moteur que lui pour iCab 4 rend les choses plus simples. Toutefois je n'ai pas le même contrôle qu'avant sur le moteur de rendu des pages et je n'ai pas retrouvé dans WebKit tout ce que mon ancien moteur pouvait faire.


Est-ce qu'iCab a rapporté de l'argent ? Car en plus de la version gratuite il y a toujours la Pro payante (25€)

AC : Oui ça m'a rapporté de l'argent, assez pour payer les serveurs mais pas assez pour payer mon loyer. Développer un navigateur Web c'est beaucoup de boulot et j'espère que ses utilisateurs en tiendront compte en versant un petit quelque chose. Mais il est clair que beaucoup ne voudront pas payer pour iCab, d'où la version gratuite. Elle se contente d'afficher un rappel, sans gêner davantage l'utilisation du logiciel.

avatar Mecky | 
Et bien, comme je l'ai souvent répété sur les forums, je tire encore et toujours mon chapeau à Mr Clauss et à son poulain ! J'ai toujours vanté ce que faisait iCab... 5 ans avant ses concurrents ! Filtre anti-pub, blocage des pop-up, gestion des gif animés, travestir l'identité du navigateur (de nombreux sites fonctionnent mieux lorsqu'ils croient que vous naviguer sur Explorer !), download avec aspirateur, intégration poussée avec Sherlock, avec QuickTime, gestion très dynamiques des signets, et j'en passe... des fonctions à foison, que du bonheur ! [b]B R A V O encore Mr Clauss ![/b] Il a fallu attendre la modularité de Firefox pour retrouver toutes ses fonctions (et quelques nouvelles) et une telle cohérence / homogénéité de fonctionnement ainsi qu'un plaisir de navigation. Si vous n'avez pas vraiment vécu l'historique de la navigation, l'évolution chaotique d'Internet, ne vous fiez pas aux quelques erreurs encore incluses dans cette nouvelle version 4, vous ne comprendriez pas l'engouement de ma réaction. Ce logiciel recelait des trésors et, à l'usage, il me fut très, très difficile de passer à Camino, puis Firefox, et un peu Safari. Aujourd'hui, j'utilise celui qui m'inspire le plus en fonction de ses atouts et de mes besoins du moment. C'est Firefox (avec les extensions qui m'apportent les fonctions citées ci-avant) qui est le plus sollicité. Et je suis impatient que iCab retrouve le piédestal qui était le sien. Par une meilleure gestion des plug-ins et autres éléments satellites (Java, Flash, etc..) ?
avatar Serge 001 | 
Tout à fait d'accord. La version 4 d'iCab est excellente et très véloce. Bravo aussi à Florian pour ses questions très pertinentes.
avatar Claude Pelletier | 
Merci d'avoir fait appel au chauffeur d'iCab pour mettre en valeur la carrosserie, la motorisation ainsi que la suspension et les options mais ce modèle est absent des pages du tout dernier Argus. Il aurait mieux valu faire venir un chauffagiste. On se caille aujourd'hui !
avatar netcroco | 
Je soupçonne fort l'intervenant précédent de vouloir figurer dans le bétisier ! ;-)
avatar biniou | 
C'est pas un bêtisier mais un navigateur web ...
avatar Ziflame | 
Il faut arrêter de rire hein... c'est juste un autre interfaçage de WebKit et c'est tout... Et payant de surcroît... (Le rappel de la version gratuite est pénible et fait "cheap")
avatar Mecky | 
Mais oui Ziflame, comme Shiira. Sauf que tu n'as pas lu ou pas compris ma première réaction et que tu n'as pas lu ou pas compris les réponses du brillant programmeur. Alors, rire, oui, on peut le faire quand on sait que iCab faisait tout cela alors que Firefox n'éxistait même PAS ! Aujourd'hui avec la version 4.0.1, as-tu jeté ne fut-ce qu'un bref coup d'œil à la fonction "Inspect" (clic-droit sur une page ou un de ses éléments) ? Non ? Dommage pour toi, car c'est prodigieux ! Puisque tu te limites à WebKit : va voir les préférences et compare-les avec celles de Safari. Tiens, on peut faire plus et mieux. Etonnant, non ! La version actuelle n'est pas parfaite mais elle promet déjà beaucoup. Et, rien que pour les services déjà rendus, iCab mérite notre détour. Ne boudons pas notre plaisir : iCab, Camino, Safari, Firefox, Shiira, OmniWeb, Opera.

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