QuickTake, l'appareil photo d'Apple, a 26 ans !

Jean-Baptiste Leheup |

Avant d'être une fonction d'enregistrement vidéo de l'iPhone 11, QuickTake était le nom de la gamme d'appareils photo numériques de la marque à la pomme. Quand elle présente son QuickTake 100 le 17 février 1994, dans un monde qui ne connaît que la photo argentique, Apple ne sait peut-être pas encore que dix ans plus tard ses héritiers représenteront plus de 90 % des ventes d'appareil photo.

Il faut un instant nous replonger dans le contexte de l'époque. La gamme Power Macintosh vient de sortir, avec ses processeurs à 60, 66 et 80 MHz. Les Quadra, Centris, LC et Performa de toutes sortes représentent maintenant l'entrée de gamme de la marque. Le Newton (à 6000 F) et le PowerCD (à 2000 F) peinent à trouver leur clientèle, l'AppleDjinn permet de se connecter à internet à 2400 bauds, mais aussi d'envoyer des fax et de consulter le Minitel depuis son Mac, et Apple propose toujours toute une gamme d'imprimantes, d'écrans et de scanners. Bref, dans un tel catalogue, on n'est pas à une drôle d'idée près.

Tiens, et si on faisait un appareil photo ?

Et rejoindre les précurseurs de la photo numérique est justement une drôle d'idée. Canon, par exemple, propose des appareils « quasi-numériques » depuis plusieurs années, capables d'enregistrer des images sur une disquette magnétique (une idée développée à l'origine par Sony pour son prototype Mavica). Toshiba propose son IMC-100, depuis 1989. Mais il le facture 20 000 $ avec son lecteur externe de carte mémoire !

Ces appareils sont dérivés des caméscopes Hi8 et tout leur génie consiste à embarquer dans un volume réduit une technologie capable de fixer sur une disquette l'image capturée par le capteur CCD. Ce qui était assez simple pour un caméscope (travaillant en temps réel sur une bande défilant en permanence) devient plus compliqué quand il s'agit de capturer une image fixe avant de l'enregistrer sur un support.

Ces modèles ancestraux n'avaient pas encore vraiment basculé dans l'ère de la photographie numérique : ils étaient encore qualifiés de « still video » (vidéo fixe) et leur fonction principale était d'afficher l'image sur un poste de télévision.

Le Canon Q-Pic RC-250 de 1988 - Image : Morio sur Wikipedia

Fidèle à sa tradition, Apple s'attaque à un marché balbutiant et imagine un produit destiné au grand public. Pour cela, elle se rapproche de Kodak, un pionnier de l'image numérique, qui lui fournit le capteur et les puces qui le pilotent. Apple y apporte sa touche habituelle : un seul modèle, sans option, opérationnel dès que le cache-objectif est glissé sur le côté.

Plus de disquette magnétique : les images sont enregistrées sur une mémoire interne dont on n'a pas à se soucier. Apple inclut un logiciel, Photoflash, dédié au Mac, pour récupérer et retoucher les clichés et un simple câble série, celui qui sert au réseau AppleTalk, aux modems et aux imprimantes. Le tout, dans un carton qui respire la simplicité et la confiance. Et voici ce qu'en disait le magazine PC World au moment de sa sortie :

Ce n'est sûrement plus qu'une question de temps, avant que les appareils numériques remplacent les appareils argentiques. Mais ne jetez pas tout de suite votre Nikon. Un petit appareil 35-mm peu coûteux produit encore les meilleures images en terme de qualité, de résolution et de couleur.

Le magazine considérait que le QuickTake, parmi les premiers appareils photo numériques couleurs à moins de 1000 $, était tout désigné pour quelques catégories de professionnels : les assureurs qui photographient les dommages de leurs clients, les gestionnaires RH qui créent des trombinoscopes et les créateurs de présentations professionnelles. Mais pas les photographes professionnels, les vrais, ni même les simples photographes du dimanche :

Même à la meilleure résolution (640 x 480 pixels), les détails et les couleurs des images QuickTake nous rappellent celles d'un Polaroïd. Elles sont souvent un peu floues, avec les couleurs qui bavent. Rien à voir avec la production d'un appareil réflex de la même gamme de prix.

Bon, ça avait peut-être la qualité d'un mauvais Polaroïd, mais c'était beaucoup plus plat ! Image Jean-Baptiste Leheup / MacGeneration

Il faut dire qu'avec ce premier modèle, Apple avait finalement visé l'entrée de gamme de la photographie numérique. Au début des années 1990, il n'y avait guère que deux manières d'attaquer ce marché. Par le haut, comme avec le système DCS de Kodak, basé sur un Nikon F3 doublé d'un enregistreur externe (comptez 20 000 $), ou Nikon lui-même et son F4 modifié pour la Nasa : un réflex argentique adossé à un capteur de 1024 x 1024 et un disque dur embarqué (et celui-là, il n'a pas de prix). À l'autre extrémité, on trouvait donc la vision d'Apple, Logitech, Fuji ou Toshiba, tout en légèreté et en simplicité, à un prix plus mesuré.

Le Nikon F4 numérique, développé de 1987 à 1991 et embarqué dans la navette Discovery

Nous aurons l'occasion de découvrir prochainement que la version officielle de l'histoire, qui fait état d'un partenariat idéal entre Kodak et Apple, cache en réalité une histoire bien plus tumultueuse…

avatar Karamazow | 

Super article, merci 😊

avatar damienjdc | 

Passionnant ! Super article pour commencer la journée...

Surtout pour quelqu'un comme moi qui a du rester un des derniers dinosaure argentiques :-) Un Leica sinon rien ! Je suis venu tard au numérique, déçu par les compacts, mais bien réconcilié grâce à un reflex numérique...

avatar NewtonMessagePad | 

J’ai encore le mien, quelque part.

avatar Oracle | 

Super, merci ;-)

avatar fte | 

À l’époque je pensais que Apple était passé à côté de quelque chose en ne développant pas plus ce secteur. D’autres s’y sont pété les dents également.

A quoi ressemblerait le paysage photographique aujourd’hui si Apple l’avait investi comme elle l’a fait avec la musique et la téléphonie ?

C’est Sony qui l’a joué fine, en rachetant Minolta d’abord, en sautant dans le numérique sans hésitation, puis en prenant le virage mirrorless avant les autres et en les enfumant au passage.

Je ne me réjouis pas de la situation actuelle cependant, la plupart des marques historiques sont larguées, Sony est seul. Les rumeurs autour du nouveau R de Canon laissent penser que Canon va se réveiller, peut-être, j’espère, mais le mal est fait.

avatar occam | 

@fte

"À l’époque je pensais que Apple était passé à côté de quelque chose en ne développant pas plus ce secteur."

L’Apple de l’époque n’avait ni les capacités, ni les moyens, ni surtout la ténacité d’investir ce secteur, et de s’y investir.
La différence avec Sony est que cette dernière s’est créée l’infrastructure pour maîtriser les bases de la technologie. Apple à l’époque avait un besoin urgent de produits finis à lancer, sans disposer des moyens et du temps pour bâtir une infrastructure.

Je travaillais à l’époque sur un projet de photo-documentation numérique à grande échelle, et je suis allé voir Apple et Kodak. Les approches n’auraient pu être plus divergentes.
Chez Apple, la haute définition n’était même pas sur le radar, et la question de la pérennité du format sur une décennie ne se posait même pas. L’horizon se limitait au trimestre suivant.
Chez Kodak, on avait beaucoup investi dans l’infrastructure du PhotoCD (qualité superbe), infrastructure à l’échelle industrielle, et établi les bases de l’image numérique, ce que l’on oublie trop souvent. Mais la prochaine étape, logique ? Elle aurait signifié tuer le film. Ce à quoi Steve Jobs excellait, la destruction créatrice et l’auto-cannibalisation sans état d’âme, Kodak en était structurellement incapable. Avec les conséquences que l’on sait.

avatar Paul Position | 

"Sony est seul" est un raccourci quelque peu osé.
Pour le R5 de Canon ce n'est pas une rumeur, l'annonce de son développement est officielle.
Je t'accorde bien volontiers que Sony est en avance sur le mirrorless, mais les 2 "historiques" que sont Nikon et Canon se réveillent. Et leur avantage sur le reflex et la gamme d'objectifs est indéniable !
Je ne serais pas aussi définitif que vous.
La R&D Canon (qui fabrique ses capteurs) est largement capable de rivaliser.

Sony a investi le secteur, car c'est avant tout un électronicien et elle fabrique la quasi-totalité des capteurs photo. En rachetant Minolta elle a acquis l'expertise optique et boîtier, et avait, ainsi, toutes les cartes en mains pour réussir - même si rien n'est jamais certain en business.

C'est surtout les acteurs secondaires du marché (Pentax, Olympus, Panasonic etc...) qui risquent de payer au prix fort le rétrécissement du marché.

Pour terminer, Apple est un leader du marché de la photo grâce à ses iPhone.

avatar fte | 

@Paul Position

- ""Sony est seul" est un raccourci quelque peu osé.

Oui. Mais l’idée n’est pas fausse.

- Pour le R5 de Canon ce n'est pas une rumeur, l'annonce de son développement est officielle.

En effet. Mais on ne sait pratiquement rien des specs. Là est la rumeur. Il pourrait être top, mais il pourrait aussi ne pas l’être.

- Je t'accorde bien volontiers que Sony est en avance sur le mirrorless

Soyons réalistes. Sony est seul crédible sur le mirrorless.

- mais les 2 "historiques" que sont Nikon et Canon se réveillent. Et leur avantage sur le reflex et la gamme d'objectifs est indéniable !

Canon donne des signes de réveil. Nikon, franchement je ne vois pas. D6 reflex ? Sérieusement ? Ce n’est plus du sommeil, c’est du coma.

- Je ne serais pas aussi définitif que vous.
La R&D Canon (qui fabrique ses capteurs) est largement capable de rivaliser.

Oui, Canon est totalement capable. Je ne suis pas définitif. C’est un constat actuel, réaliste je pense, qui pourrait changer demain si. Si. Si Canon se réveille vraiment.

- C'est surtout les acteurs secondaires du marché (Pentax, Olympus, Panasonic etc...) qui risquent de payer au prix fort le rétrécissement du marché.

C’est déjà le cas. Tu peux ajouter Fuji et Ricoh à la liste. Tu pourrais presque ajouter Nikon aussi.

- Pour terminer, Apple est un leader du marché de la photo grâce à ses iPhone."

Samsung est leader, suivi de Huawei.

avatar Orphanis | 

Je vous rejoins.
Beaucoup d'acteurs "historiques" ne sont pas au mieux et les rumeurs touchant les finances de Nikon sont inquiétantes. Kodak produisait de superbe capteurs CCD mais a été dépassé du fait de problèmes de corrosion sur certaines séries et surtout par l'incapacité des capteurs CCD à concurrencer les capteurs CMOS en sensibilité (En studio, je préfère toujours le rendu du CCD même si la colorimétrie est, parfois, fantaisiste). Canon n'a pas la capacité de produire des capteurs aussi performants que ceux de Sony (de ce point de vue, il ne lui que la colorimétrie comme avantage). Sony produit des objets technologiquement fantastiques mais ergonomiquement catastrophiques comparés à la concurrence (dans son essence, Sony n'est pas un fabricant d'appareils photos et ça se ressent). Il demeure le retour miraculeux de Fuji qui a choisi une stratégie qui pouvaient paraître folle : proposer des appareil APSC, faire l'impasse sur le FFrame et tenter une incursion dans le Moyen Format.

Pour le reste, l'entrée d'Apple était prématurée : l'argentique a longtemps gardé l'avantage sur le numérique (montée en iso, définition, dynamique, format 35mm) et je pense qu'il a fallu attendre la commercialisation des premiers FF numériques pour que la tendance commence à s'inverser dans le milieu professionnel.

avatar sangoku | 

@fte

Dire que canon a besoin de se réveiller est très simpliste. Tu devrais dire dans quel segment. Je ne pense pas que les clients professionnels ou amateurs exigeants trouvent que canon est à la traine.1Dx & co sont des machines incroyables. Maintenant si tu parles du segment qui a les téléphones comme concurrence alors peut-être mais je ne trouve pas que ce segment mérite un intérêt quelconque quand on voit la daube que sort un iphone où autre. On devrait utiliser un autre mot que « photo » pour les téléphones ça engendrerait moins de confusion ... (ceci dit sans agressivité aucune, ce n’est que mon avis)

avatar fte | 

@sangoku

"Je ne pense pas que les clients professionnels ou amateurs exigeants trouvent que canon est à la traine.1Dx & co sont des machines incroyables."

C’est là que tu te trompes je pense. De plus en plus de clients professionnels switchent vers Sony. Regarde les bords de stades, regarde le superbowl, regarde les photographes de mariage, regarde les photographes reporter... cadence, autofocus, maniabilité, blackout, autant d’avantages des mirrorless et donc de Sony.

Oui ce sont des machines incroyables. Mais dépassées par des machines encore plus incroyables, et ça se voit.

Le R5 annonce quoi, 14 img/s obturateur et 20 img/s silent ? S’ils y arrivent avec des rafales suffisantes et sans blackout massif, planté les vieux reflex. Ils annoncent aussi de la vidéo 8K... sans crop ? sans limite de temps ? Killer. Si.

Pendant ce temps Nikon propose un D6 déjà obsolète, et des mirrorless sans grip decent. Ce n’est pas un hasard qu’il y a une telle offre de matos Nikon d’occasion qui peine à se vendre.

avatar sangoku | 

@fte

Le mirrorless a un défaut principal et rédhibitoire pour pas mal de photographes justement c’est le mirrorless. Qui a mis son œil dans le viseur d’un CANON 1D et dans un viseur numérique d’un SONY me comprendra. Personnellement je ne veux pas d’un mirrorless. Je suis aussi très déçu par Nikon, nous avons besoin d’une saine concurrence. Il y a aussi une chose qui fait la différence et que les gens oublient ce sont les optiques. Canon et Nikon sont loin devant tout le monde et quand on veut l’excellence il n’y a pas d’alternative à ces deux là.

avatar menestrelo | 

@Sangoku

Je ne comprends pas ce qui est décevant chez Nikon ? Le D850 ? Le D750 la série Z6 Z7 ?

À part la gamme optique F avec des trous je ne vois pas très bien où se situe la supériorité au moins en reflex de Canon ?

avatar sangoku | 

@menestrelo

A ce niveau de performance entre Nikon et Canon je ne pense pas qu’on puisse parler de supériorité de l’un par rapport à l’autre. Ce qui m’a déçu en voyant l’annonce du D6 c’est que dans le passé (jusqu’à la sortie du 1Dx) chaque annonce de Nikon forçait Canon à se sortir les doigts et ça tirait tout le monde vers le haut. C’est terminé maintenant, les deux se suivent. Après c’est une question de goûts, le rendu des couleurs Canon a ma préférence de même que quelques optiques légendaires qui n’existent pas chez Nikon comme le 85 1.2 ou le MPE 65 par exemple. Mais bon Nikon ou Canon en général ça dépend juste dans quoi on est tombé quand on a commencé. Il est plutôt rare de changer de crémerie, les deux étant au top.

avatar menestrelo | 

@Sangoku

On est bien d'accord, en aparté ça serait triste que Nikon disparaisse …

avatar melaure | 

Merci !

C’est rigolo parce que justement hier j’ai fait des photos avec mon Quictake 200 !

Mais j’ai aussi un 150 !

L’avantage du 200 est d’avoir une carte mémoire (Smartmedia) que j’utilise avec un lecteur usb sur iBook ...

avatar Gévaudan | 

Peut être un peu hors sujet (quoique...) mais si quelqu’un sait moment on peut récupérer et lire les photos au format quicktake sur Mojave, je suis preneur. Je n’ai jamais réussi à trouver la solution 😢

avatar occam | 

@Gévaudan

Avez-vous essayé le vénérable GraphicConverter ? Il savait lire le format QTK depuis des lustres, et Lemke n’a jamais, je crois, abandonné un format de sa vie.

Sinon, il y a dcraw :
https://www.dechifro.org/dcraw/

Pour Mojave, je ne sais pas, n’ayant aucune prédilection pour ce désert, mais ça marche sur Linux virtualisé, et on peut le virtualiser sur à peu près n’importe quoi.

avatar dandu | 

Récupérer, la solution la plus simple c'est le soft Windows, il fonctionne dans uine machine virtuelle sous un Windows 32 bits (attention, pas un Windows 64 bits) et un simple adaptateur série/USB suffit.

Pour la conversion, je conseille aussi le soft d'Apple sous Windows, il permet de sauver en JPEG. DCRAW ou Graphic Converter ne décodent pas correctement : https://www.journaldulapin.com/2019/07/23/quicktake-100-150/

avatar YARK | 

...Et j'arrive toujours pas à téléphoner avec mon réflex Nikon....

avatar Emile Courrier | 

La supériorité de Canon sur Nikon, c’est la maîtrise de la fabrication des capteurs alors que Nikon intègre - brillamment - ceux de...Sony...!
son autre supériorité, c’est une assise financière basée non seulement sur la photo, mais aussi la vidéo, la reprographie... Ce qui permet une plus grande solidité quand un marché est en baisse drastique...
Le problème de Canon, au delà de la supériorité de Sony pour les capteurs, c’est son statut de leader du marché, peu enclin à faire des modèles avec des caractéristiques toutes au top, mais plutôt occuper à segmenter son marché...
Des bons, voire très bons appareils, mais pas excellents (ou en tous cas pas tous)...

avatar Lightman | 

"Kodak, un pionnier de l'image numérique"

Je crois plutôt me souvenir que Kodak est allé très (trop) tard dans le numérique, contraint et forcé. Elle a failli en crever.

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